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L’interview de Christelle Trouvé-Fabre de la fédération des services publics CGT

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ResPECT laisse la parole aux professionnels et experts de la santé et sécurité au travail. Dans cet article, retrouvez l’interview de Mme Trouvé-Fabre de la fédération des services publics CGT. Vous pourrez la retrouver et lui poser toutes vos questions lors du congrès ResPECT 2015 qui se tiendra au siège de la MNT à Paris les 28 et 29 septembre 2015.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis syndiquée à la CGT, membres de 2 commissions exécutives qui sont les instances dirigeantes des syndicats. Je suis actuellement animatrice du collectif santé au travail CGT et on peut dire une « référente » sur la santé au travail et les CHSCT. En lien avec cette activité, je suis mandatée par la fédération des services publics pour la représenter dans les négociations relatives à la santé au travail et aux conditions de travail, notamment au sein de la formations spécialisée n°4 du Conseil commun de la fonction publique (CCFP). En outre, j’essaie de transmettre de la connaissance et de la réflexion en contribuant à la formation syndicale de syndiqués et de RP CHSCT.

D’un point de vue professionnel, je suis chargée de mission en analyse sociologique du travail et de l’organisation au sein d’une collectivité territoriale, c’est-à-dire sociologue. Mais, cette mission n’en est qu’à ses débuts.

Quel est votre parcours ?

Après avoir adhéré à la CGT, je me suis rapidement retrouvée sur des problématiques de conditions de travail et de santé au travail. J’ai exercé un mandat de représentante du personnel au sein d’un CHS, devenu CHSCT. En son sein, aux cotés d’autres RP CHSCT, j’ai participé au développement de l’action de cette instance. Ensemble, nous avons revendiqué les moyens et le développement d’un service de santé au travail pluridisciplinaire. Puis, nous avons agi pour le développement d’une politique de prévention de la santé au travail et d’amélioration des conditions de travail tant d’un point de vue physique que psychique. Au regard de la situation des collectivités territoriales, je constate que nous avons sans doute réussi à poser les bases de l’action d’un véritable CHSCT : fait rarissime. Avec l’espoir que ceux qui ont pris la suite puissent avoir les moyens d’agir.

Notre pratique syndicale a consisté à partir du vécu des agents et de la réalité de leur travail, pour chercher à comprendre les problématiques auxquelles ils étaient confrontés. Il s’agissait de les accompagner pour construire avec eux des revendications en lien avec l’organisation et la dimension collective, mais aussi pour les aider à traverser ou sortir de situations de travail difficiles. Sans toujours y parvenir, car cette posture est complexe et conduit à un engagement qui n’est pas sans conséquences négatives pour notre santé. Travailler et militer dans un CHSCT nécessite d’avoir de véritables moyens. Or, même avec les apports éventuels de la loi « Déontologie », les moyens resteront insuffisants, au regard des enjeux à venir en santé au travail.

J’ai aujourd’hui une autre forme d’engagement plus éloigné du terrain et des agents, mais importante du point de vue de la stratégie et des pratiques syndicales. Il s’agit en quelque sorte de participer à la construction des politiques revendicatives de la CGT sur la santé au travail dans la fonction publique. Mais aussi de coordonner et soutenir les syndiqués et RP CHSCT. A partir du réel du travail, j’essaie de leur apporter un soutien effectif. L’objectif étant de nourrir la réflexion des uns et des autres de manière contingente, et de leur permettre de construire du rapport de force et du dialogue social. Tous deux nécessaires, car la santé au travail bien que faisant souvent consensus, reste un lieu à investir syndicalement autant qu’institutionnellement. D’ailleurs, il me semble que face aux plaintes des agents, aux manques de moyens, aux désaccords sur les pratiques… on ne peut tenir qu’à la condition d’appartenir à un collectif syndical solide.

En outre, j’ai une formation initiale en Histoire de l’art, suivi d’un cursus en Histoire avec un approfondissement par des recherches sur histoire de l’administration française et ses archives, auxquels s’ajoutent quelques connaissances acquises en sciences politiques dans ce cadre. Puis, il y a quelques années, j’ai recommencé un nouveau cursus avec un master en RH et sociologie du travail au CNAM.

Pour vous, quels sont les enjeux majeurs en terme de santé et sécurité au travail dans le cadre de la réforme de la fonction publique et notamment territoriale ? Quels sont les grands axes d’action possibles ?

Le gouvernement se voulant modernisateur, a pour ambition de moderniser l’Etat, et pour se faire, de transformer le paysage institutionnel. Mais la modernisation de l’Etat n’a pas grand-chose de contemporain. Contrairement aux représentations des uns et des autres et au discours ambiant, l’Etat s’est toujours modernisé. L’Administration du XIXe siècle n’a rien à envier à celle du XVIIe… L’objectif serait d’être plus proche de la population, plus efficace et d’augmenter la performance par la rationalisation et même désormais grâce à l’innovation. L’utilisation de ces vocables est inquiétante, car elle recouvre des idéologies qui ne sont pas celles de l’intérêt général caractérisant le service public.

Mais, pour revenir sur l’objet social qu’est le travail, cette réforme est un contre sens par rapport aux réflexions scientifiques contemporaines, notamment grâce au débat ouvert par la souffrance au travail (si l’on peut dire), car elle se fait sans prise en compte des conditions et du travail réel des agents, sans leur reconnaître leur statut d’expert, cela ne peut que nous interpeller.

Cette réforme fait naître un véritable scepticisme et donc une opposition, notamment parce qu’il n’existe pas de conscience que le service public est vu socialement comme le résultat du travail, et non comme un acte de travail des agents. Elle se fait sans les agents et leurs représentants. Dans ce sens elle pose la question du sens de leur activité et pourrait contribuer à dénier leur identité au travail. L’opposition n’est pas une histoire de résistance au changement ! D’ailleurs en un sens, ils disent leur volonté de voir la situation actuelle de travail changer : pour s’améliorer !

En ne posant pas la question de l’acte de travail, c’est tout le discours sur la santé au travail des agents qui est remis en cause. Comment alors prétendre développer la qualité de vie au travail ? C’est pourquoi, le 1er enjeux face à cette réforme est celui de faire prendre conscience que changer les institutions : revient à changer les conditions de travail d’un point de vu physique, psychique, et social. D’ailleurs l’urgence des discussions actuelles sur le télétravail pourraient être un bon exemple.

Alors qu’enfin les collectivités territoriales peuvent se doter de services de santé au travail de qualité, et qu’elles commencent à s’interroger sur celle-ci, les transformations organisationnelles sont inquiétantes pour les professionnels autant que pour les agents et pour les membres des CHSCT. Car, le paysage du travail qui va se redessiner pose la question de leur périmètre d’intervention, des droits et pouvoirs des uns et des autres pour permettre un travail réel contribuant à l’amélioration de la santé par l’amélioration des conditions de travail.

On est ici dans un véritable paradoxe politique et social : des avancées certaines ont eu lieu ces derrières années dans la fonction publique, notamment territoriale, mais elles restent très réglementaires et théoriques. Nous en sommes à l’étape de la mise en œuvre : qu’en est-il des plans de prévention ? De l’existence des documents uniques d’évaluation des risques professionnels ? De la possibilité de prévenir l’usure des agents à cause du travail ? De la réelle mise en œuvre des droits des RP des CHSCT ? Est-ce que les employeurs ont conscience de leurs obligations ? Ont-ils recrutés des professionnels qui puissent intervenir réellement pour conseiller et mettre en œuvre les décisions sur l’amélioration des conditions de travail ? Sont-ils prêts à les entendre et à prendre en compte l’avis de ces professionnels? Il me semble que tout cela reste largement à faire. La mise en œuvre des nouveaux droits est donc un autre enjeu essentiel.

D’un point de vu plus technique, de très nombreux chantiers ont été ouverts et chacun représente un enjeu : les problématiques des TMS, celles des conditions sociales notamment, mais pas seulement de la pression de la performance qui est mal définie, et qui ne peut être sérieusement prise en charge quand il faut faire autant ou plus avec moins. Celle de l’accueil des usagers de plus en plus exigeants ou en difficultés… Il y a aussi les problématiques des cancers professionnels et plus largement des CMR… Eradiquera-t-on enfin le danger à la source ? Et évidement la question de la souffrance au travail et de l’évaluation des RPS, se pose toujours. Et osera-t-on le dire, elle semble bien mal engagée. Alors que la CGT s’est battue pour sa mise en œuvre, aujourd’hui on pourrait fortement douter. Non pas sur le principe, mais sur les processus et le résultat réel. Quand elles existent, elles ne sont pas assez proches du travail réel et de l’organisation sociale. Les diagnostics s’éloignent trop souvent de ces problématiques pour se limiter aux problématiques d’encadrement. Et assez curieusement, alors qu’on pose ce problème comme facteur principal de « risques », c’est aux cadres que l’on confie la responsabilité des évolutions suite aux évaluations, comme si eux-mêmes étaient des acteurs neutres.

Tous cela pose la question de la formation sur la santé et la prévention pour tous les acteurs concernés et notamment les représentants du personnel et les décideurs. Or, là encore, le minimum acquis récemment est remis en cause par les employeurs eux-mêmes, sous prétexte de difficultés budgétaires. La santé des femmes et des hommes que sont les agents a-t-elle un prix ? Combien vaut une vie ou les années d’espérance de vie en moins ? Selon nous, c’est une question de justice sociale, et donc une question politique, qui semble échapper à la majorité des employeurs publics. Parce que comme ils l’affirment ils n’y connaissent rien ? Or, les RP pour remplir leur fonction doivent eux aussi acquérir des connaissances, pourquoi le leur refuser ?

Derrière toute ces questions et ces désaccords, il me semble que se dessine, une problématique qui n’est absolument pas perçue, celle de l’orientation politique de la prévention de la santé au travail : restera t-on sur une ligne hygiéniste ou saura-t-on la dépasser pour poser la question sociale du travail et de sa transformation ? Ce qui nécessite de revenir sur le travail réel, de donner aux agents leurs places d’experts, d’acteurs sociaux… pour leur permettre non seulement de s’exprimer sur leur environnement de travail mais de le faire évoluer ? Le travail doit-il n’être vu que comme un risque dont il faut se protéger, alors même qu’il est socialement et économiquement devenu une obligation pour la majorité d’entre nous ? Ou doit-il permettre le développement de la santé et donc être adapté aux femmes et aux hommes et avec lui son organisation ?

Pour ma part, je pense qu’il est nécessaire qu’une évolution se fasse rapidement. On est aujourd’hui, dans un entre deux qui devrait nous préoccuper (au sens de nous occuper par avance). Nous devons admettre que nous ne pouvons pas cumuler d’un coté les dispositifs excluant des agents parce qu’ils ne seraient plus en capacité de travailler (invalides) et qu’ils freinent la performance publique, ceux qui ne leur reconnaissent pas cette usure comme conséquence du travail, qui les privent d’accéder dans la dignité à des possibilités d’évolution dans leurs organisations de travail, et de l’autre les dispositifs qui obligent à une véritable accessibilité de tous au travail, qui acceptent de faire discuter les agents sur leur travail et qui leur laisse une place dans la décision, en leur reconnaissant ainsi, de fait, leurs « compétences » et conduisent à une meilleur qualité des relations sociales. Ce choix est fondamental car il repose la question du sens et de l’organisation des services de santé au travail et du rôle des professionnels qui y travaillent.

Comment travaillez-vous au quotidien pour améliorer la qualité de vie au travail dans la fonction publique et au-delà ? Pouvez-vous donner des exemples de sujets/projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?

Est-ce que je peux dire je travaille au quotidien sur la qualité de vie au travail ? A vrai dire, c’est une notion qui me semble très ambivalente voire dérangeante. Si l’on part du principe que tout en étant un lieu de développement individuel et de lien social, le travail est aussi un lieu d’aliénation, alors je m’interroge : de quoi parle t-on ?

Si l’on considère que la qualité de vie au travail, c’est se poser la question des critères de qualité que représentent l’objet social « travail », le geste, l’environnement… alors je pense que mon travail quotidien qui consiste à de la critique sociale pourrait y contribuer.

Si l’on accepte que les syndicalistes, par leur apport social que constitue la mise en cause, la résistance, la revendication, qui oblige à la réflexion, la remise en cause de décisions, et l’existence de négociations, si l’on acceptent qu’ils reposent les questions des mauvaises conditions de travail et de la dégradation de la santé au travail, il est possible de dire qu’ils participent à la qualité de vie au travail.

Le travail syndical et les orientations et revendications portées par la CGT ont pour objectif de contribuer à une amélioration de la qualité de vie au travail, d’ou notre participation aux négociations sur la QVT. Mais, le contexte pouvait-il nous permettre de convaincre les agents et les syndiqués de l’importance de ce que nous avions négociés ?

Pour reprendre mes doutes sur les évaluations des « RPS », que je partagerai avec vous : l’avenir pourrait se situer dans ce qui a été discuté sur la QVT. Mais, la QVT, n’est à notre sens, pas allée jusqu’au bout. Quelque soit le processus « RPS » ou « QVT », il y a des questions essentielles qui n’ont pas été réglées et notamment celles du type d’acteur qui doit mener ou participer aux analyses et à l’accompagnement des équipes. Je suis intimement convaincue que ces travaux devraient être confiés à des professionnels des sciences du travail et /ou de la santé au travail, car maitriser l’analyse du travail, de son organisation, celle de l’expression des acteurs du travail n’est pas donné à tout le monde, contrairement à ce qui est dans l’air !

Les acteurs que sont les agents, quelques soit leur rôle, doivent être accompagnés chacun à leur place pour que l’expression se fasse bien sur le travail et non sur le fait qu’il existerait des méchants et des gentils, qu’il existerait des inquiétudes auxquelles on dit répondre par la rédaction de guides ou par des séances de management prescriptives…

Il ne suffit pas de faire parler les acteurs sur le travail, encore faut-il savoir leur permettre de se parler entre eux, de les amener à sortir de la plainte pour construire ensemble des solutions de travail…et j’insiste sur le mot. C’est la condition pour qu’ils s’autorisent à dépasser les clivages sociaux, à controverser les critères de qualité dans lesquels ils ne se reconnaissent pas toujours, à oser dénoncer la surcharge et l’intensification du travail… La qualité du travail et des relations sociales sont les garantes de la qualité et de l’efficacité du service public.

On ne peut pas se contenter d’écouter les acteurs, il faut comprendre ce qui est dit, ou ce qui n’est pas dit… les écarts entre prescription et réel, la fait que les règles formelles ne peuvent pas déterminer à elles seules une organisation de travail…mais aussi ce qui se jouent en terme de « relations de pouvoir »…

Sur le fond, c’est sans aucun doute là, que se trouve l’innovation dont on ne cesse de nous parler et qui ne correspond à rien dans les schémas de travail des agents. Ils sont d’ailleurs suffisamment intelligents pour ne voir en l’innovation proposée que de la rhétorique.

Mais cet accompagnement doit être aussi une étape pédagogique, pour que lorsque les professionnels ont achevés leur travail, les acteurs soient en capacité de poursuivre cette démarche, cela doit devenir un mode de gestion du personnel.

Vous interviendrez pour la 1re lors du congrès ResPECT de juin 2015, à votre avis quel est l’intérêt d’y participer pour des acteurs de la santé au travail ?

Je trouve très intéressante la démarche consistant à donner une place aux syndicalistes, dans les processus de réflexions des professionnels. C’est une façon de reconnaitre leur utilité sociale. Or, d’après quelques expériences très récentes, ou j’ai vu des préventeurs ne pas prendre consciences que les RP CHSCT et les syndicalistes étaient des acteurs qu’ils fallaient prendre en considération (du moins leurs revendications et leur volonté d’agir), il me semble opportun de pouvoir leur donner l’occasion de comprendre leurs postures. En outre, partager des réflexions et, pouvoir entendre ce que les professionnels ont à dire est tout aussi important pour les syndicalistes. C’est une condition essentielle pour améliorer les conditions de travail et la politique de prévention de la santé au travail.

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

J’ai une pensée pour eux, en tant qu’agents. En cette période, ou l’ouverture de droits nouveaux pour les RP CHSCT, et les obligations ont été renforcées pour les employeurs, en cette période ou il faut faire plus avec moins, je ne peux que penser qu’ils pourraient eux-mêmes se trouver dans des situations de travail particulièrement difficiles. Et ce, alors même qu’ils sont sans aucun doute en situation de développer leur pouvoir d’agir. Je suis aussi assez curieuse des capacités qui leurs sont données pour réaliser un travail dans une indépendance relative leur permettant de construire des améliorations.

Enfin, je ne peux que les inciter à travailler avec les représentants du personnel dans le cadre des instances représentatives car c’est, à mon sens, une condition de développement de leurs activités et de la qualité de leur travail. Les RP CHSCT ont besoin de comprendre le regard des professionnels et inversement.

Pour continuer échanger sur toutes ces problématiques, ResPECT vous propose de retrouver Mme Trouvé-Fabre lors du congrès ResPECT 2015.

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